Argentique ou numérique ? La question n’est toujours pas désuète.
Aujourd’hui, la qualité du numérique n’est plus vraiment remise en question. Comparée à celle du film argentique 24x36mm, en termes de définition, elle est sans doute au-delà. Je laisse néanmoins les nombreux détracteurs apporter leur regard technique et clairvoyant sur ce sujet toujours sensible.
Mais le clivage qui s’est créé à partir de cette course technologique effrénée, renvoie le photographe à une autre réflexion que celle de la simple technique. C’est celle du temps, le temps de l’observation. Le temps de photographier, le temps de ressentir les éléments qui nous entourent.
La photographie numérique dans sa perfection et son assistance démesurée n’a t-elle pas produit de l’image instinctive aux dépens d’un regard plus pertinent et plus sensible ? La photographie argentique ne semble pas avoir dit son dernier mot dans ce monde de consommation excessive d’images et, où le concept de l’œuvre d’art est mis à mal car, si le négatif existe en termes d’objet (d’art), qu’en est-il d’un RAW ?
A gauche : Nikon Df 135 mm f8 50iso Agrandissement 75% Image 2580 x 3870 px (cadrage identique au F3)
A droite : Nikon F3 135mm f8 Ilford Panf plus Agrandissement 60% Image 3337 x 5006 px (cadrage identique au Df)
Éric PETR [ a.m.o.u.r. ] abandon, mouvement, ouverture, univers, renaissance
« L’ a.m.o.u.r. est une onde qui traverse les galaxies et irradie notre subconscient. Avec cette série, j’ai voulu me rendre au cœur de cette vibration pour capter cette énergie formidable. »
36 photographies numériques faisant référence aux 36 visions de Jean dans l’Apocalypse ont été prises sur le vif en mode manuel sans utiliser la mise au point automatique et en contrôlant la vitesse et le temps de pause. Elles sont éditées sans retouches et imprimées par les propres soins du photographe sur des papiers d’art épais aux structures mates ou barytées. De l’expérimentation à la contemplation, du flou à la netteté, de l’éblouissement à l’obscurité, Eric Petr utilise les propriétés de l’accident pour en révéler l’éventail des possibles. La lumière et le temps sont la matière première de son œuvre qui traite du « ça a été » ; une suspension du moment comme l’analysait Roland Barthes. Une croyance spontanée attestant matériellement de phénomènes non physiques du temps passé à jamais disparu. Ce temps qui interroge la mort inévitable de toute chose et sa possible survivance fantomatique dans l’image. Il y a cette fascination pour la tension entre le visible et l’invisible, pour cette tentative d’exprimer ce que l’on ne voit pas et ce qui est indicible. L’artiste souhaite restituer l’énergie ressentie comme une matière visuelle tout en conservant la densité spectrale.
Ses travaux jouent sur l’apparition de l’image avec le pouvoir de suggérer plus que de montrer. Pressentiment, clairvoyance, dissolution, interprétation… Dans ce continuum de strates, il ne se laisse pas aveugler par les facilités d’un art contextuel. Le positionnement de sa démarche face à l’environnement est un outil de conditionnement et de circonstances. Ses photographies ont été réalisées pendant la procession de Noël 2017 à la Grotte de Sainte Marie-Madeleine, en pleine nuit, dans la montagne de la Sainte Baume. « Un point de croisements énergétiques où, depuis des millénaires les hommes ont édifié et pratiqué des choses très puissantes d’un point de vue symbolique. » Les émanations du lieu incarné sont autant de fragments autonomes à multiples vitesses. Chaque cliché propulse des éléments dissemblables, redoublant l’altérité de l’appartenance et venant questionner l’identité, le statut de l’événement et sa représentation. Statues de pierre, promeneurs, flambeaux… Des formes sculptées dans la lumière sont traversées par des lignes étincelantes et agitées. Ce sont des phénomènes imperceptibles à l’œil nu, des petits miracles en lévitation. « Ces ondes ont des fréquences qui échappent à notre spectre humain et terrestre. » Le cinétisme n’est pas une illusion d’optique. Eric Petr redonne à voir dans un autre espace, un autre temps. Le regardeur est projeté dans une dimension surnaturelle, hallucinatoire entre la reconnaissance et la désorientation sensorielle où ce qu’il voit et ce qu’il sait est remis en cause.
Tout repose sur l’investigation et la prise de vue qui s’installent dans la lenteur de l’observation, d’un repos. « Lorsque l’obturateur est ouvert, je m’abandonne dans le flux de lumière qui vient à moi (…) Photographier c’est pour moi une véritable méditation. » L’expérience s’appuie en introspection sur des facultés intimes de perception. Dans cette cavité profondément enfouie rien ne se perd, tout est en mouvement et se transforme chaleureusement. Malgré la température glaçante (-10°C) lors de la captation, des émanations de chaleur imperceptibles sont devenues sensibles invitant la force rayonnante à s’envelopper d’un rouge magnétique. « Cette tonalité est l’évocation de l’amour, ce lien fraternel d’hommes et de femmes qui se réunissent dans un élan commun spirituel. »
Eric Petr ouvre l’imaginaire en créant un espace catalyseur de nos croyances. La distance s’effile entre l’irréel et sa représentation. Les potentialités de convictions et d’errance se confrontent et demeurent capturées dans un absolu éphémère où la foi exclusive pour le tangible se laisse mettre à mal par le champ vibratoire de la lumière.
CANOLINE CRITIKS Les talents émergents de l’art contemporain
Pour cette première carte blanche, notre invité de la semaine, Pierre Léotard, fondateur des revues Corridor Éléphant et Niepcebook, nous présente le travail photographique de Éric Petr.
« Il y a des photographies hors temps, des photographies dont certains se demandent si elles le sont réellement. Des photographies que l’on pourrait difficilement dater autrement que par la technologie qui a permis de les réaliser. Il y a des photographies qui arrêtent le temps, en tirent le portait et reprennent leur route. Les photographies d’Éric Petr sont de celles-là. Et l’on se prend à admirer ce que le regard ne voit pas, à se perdre dans l’image et à y déceler la relativité de l’urgence.« Texte, Pierre Léotard
« Depuis que l’être humain a conscience de son historicité, il s’interroge sur l’essence du temps. Nous sommes « ici et maintenant » sur cette Terre. Nous voyons notre passé s’inscrire sur le registre de notre mémoire et notre devenir comme une histoire qui se dévoile au fil du temps et dont nous sommes l’unique protagoniste. Ce processus dépend d’une inconnue dont le nom serait « temps qui passe ». Mais ce « temps-qui-passe », peut-on le considérer comme un futur devenant indéfiniment présent ou un présent devenant à son tour passé, voire comme une machine à renouveler perpétuellement l’instant présent ? Mais alors que devient à son tour le passé et d’où vient aussi le futur ? Peut-on en déduire que le futur et le passé sont transmutables ? Emmanuel Kant appelle le temps et l’espace les deux quanta originaires de notre imagination. En effet, lorsque nous essayons de théoriser l’espace-temps, nous sommes confrontés aux apories du langage alors qu’avec l’imaginaire, ces notions peuvent être comprises instinctivement. L’image est la bible des « illettrés », tout comme l’imaginaire serait le thesaurus des mortels. La structure d’une image est fondamentalement atemporelle et lui permet d’évoquer les idées les plus abstraites sans qu’il y ait besoin de les aborder par le discours ou la mathématique. C’est précisément dans ce rapport à l’image et au temps que naît ma photographie, au confluent du temps et de la lumière. On peut y voir dans ses fils de lumière, la matière créatrice du monde, celle d’un monde quantique qui défie nos lois et notre temps, comme l’écriture d’une vibration subliminale.« Texte, Éric Petr
Scriptphotography par Giuseppe Cicozzetti Dans ce magazine, vous ne verrez jamais une mauvaise photo
Sono felice di aprire l’anno 2o18 leggendo questo bellissimo testo di Giuseppe Cicozzetti critico d’arte alla rivista Scriptphotography dedicata alla fotografia contemporanea.
Je suis heureux d’ouvrir l’année 2o18 par la lecture de ce très beau texte de Giuseppe Cicozzetti critique d’art à la revue Scriptphotography dédiée à la photographie contemporaine.
Il y a un monde de silence
Texte traduit de l’italien vers le français
Il y a un monde silencieux et éloigné du nôtre, un monde dont la voix joyeuse, lumineuse ou nocturne et solitaire suggère à ceux qui savent écouter que les matières premières de la photographie ne sont que deux : la lumière et le temps. La lumière et le temps sont le territoire qui intéresse le photographe français Éric Petr. Les œuvres de sa série sont plus que des photographies, ce sont des hommages de dévotion, des cadeaux lumineux à la consistance impalpable de la matière. Éric Petr s’engage avec Lumière et Temps, dans un respectueux corps à corps, un jeu d’approches où tous sont gagnants. La lumière, qui écrit son essence et qui laisse des traces d’elle-même sur chaque surface, ici, dans les œuvres de Petr, est laissée libre de s’étendre. Elle est incorruptible. Indomptable. C’est fluide et mobile et le temps garantit son flux ou, si vous préférez, elle est laissée libre d’écrire sa propre histoire. Et ce que nous lisons, ou plutôt, nous observons, est une chaîne dans laquelle chacun des éléments nous permet de l’admirer dans le dynamisme ininterrompu des luminescences qui sont devenues matière. Le statisme est vaincu. Ici, le flux libre, nous assistons à un florilège des formes. La lumière, sortie de son état matière, se produit en apparences ectoplasmiques avec une beauté irréfutable, comme des éclats sur un univers sombre. D’autres fois, c’est une esquisse timide, allusive, suggérant presque une présence latente qui va bientôt menacer d’inonder la scène. Et parfois, le caractère bienveillant de la lumière, tenu par la main du Temps, se produit en formes qui nous rappellent quelque chose : bien que l’on ne s’en souvienne pas, nous n’attendons pas de retrouver sa mémoire : il y a une magie, même dans le secret ; et devant un tel spectacle plus qu’engagés dans une réponse, nous sommes appelés à l’admiration. Chutes de lumière, jeux de lumière. Une lumière liquide, légère, mobile et active. Éric Petr nous appelle à assister à l’invisible, il nous invite à voir l’insaisissable s’arrêter à jamais dans ses prises de vues, alors que nous restons conscients d’avoir assisté à un prodige. En outre, nous sommes témoins du déclenchement d’une énergie primordiale dans laquelle les éléments possèdent une force indomptable, ancestrale et à ce tumulte nous demandons d’être transpercés. Éric Petr sait comment agir et nous emmène dans un voyage « électrique » où, avec la maîtrise d’un chef d’orchestre, il dirige avec ordre la luminescence scintillante d’une matière devenue soliste : la lumière écrit son histoire et sans rien omettre. La voilà dans sa transformation des fissures sombres, avaler l’espace amorphe des ténèbres, se libérer du pouvoir spectrométrique de la «chroma» et rassembler chaque composante pour donner corps à une cascade de vie. Parce que la lumière dans les photos de Petr est la vie qui se propage et grave son passage avec une entaille dans l’obscurité. Les travaux d’Éric Petr, sa recherche est la tentative d’une restitution, donner chance à la lumière de se dédouaner du débat qu’on la voit primaire avec les ombres pour qu’elle assume définitivement le rôle de protagoniste, rôle qui nous a convaincus de ce choix.
C’è un mondo silente e distante dal nostro, un mondo la cui voce gaia e luminosa o notturna e solitaria suggerisce a chi sa ascoltarla che due e non altre sono le materie prime della fotografia: Luce e Tempo. Luce e Tempo sono il territorio che interessa il fotografo francese Éric Petr. I lavori delle sue serie sono più che fotografie, essi sono omaggi devozionali, luminosi tributi all’impalpabile consistenza della materia. Éric Petr ingaggia con Luce e Tempo un rispettoso corpo a corpo, un gioco di avvicinamenti in cui a vincere sono tutti. La luce, che scrive la sua essenza e che lascia segni di sé su ogni superficie qui, nei lavori di Petr è lasciata libera di dilagare. E’ incorrotta. Indomita. E’ fluida e mobile e il Tempo ne garantisce il fluire o, se preferite, è lasciata libera di scrivere il suo racconto. E quanto leggiamo, o meglio, osserviamo, è un ordito nel quale ciascuno degli elementi lascia che si ammiri nel dinamismo irrefrenabile di luminescenze divenute materia. La staticità è sconfitta. Ecco dunque, poi che il flusso è libero, assistere a un florilegio di forme. La Luce, scardinata dall’impianto fisico, si produce in apparenze ectoplasmatiche dalla bellezza inconfutabile quali schegge su un universo buio. Altre volte è un accenno ritroso, allusivo, quasi a segnalare una presenza latente che presto minaccerà di inondare la scena. Ma poi, succede talvolta, la natura benevola della Luce, tenuta per mano dal Tempo si produce in figure che ricordano qualcosa: sebbene non ci sovvenga non ci attardiamo a recuperarne il ricordo: c’è una magia anche nel segreto; e davanti a un tale spettacolo più che impegnati a una risposta siamo chiamati alla sua ammirazione. Cascate di luce, giochi di luce. Una luce “liquida”, mobile e attiva. Éric Petr ci chiama ad assistere all’invisibile, ci invita a vedere l’inafferrabile fermato per sempre nei suoi scatti, mentre a noi resta la consapevolezza d’avere assistito a un prodigio. Di più, siamo testimoni dello scatenarsi di un’energia primordiale nella quale gli elementi posseggono un’ancestrale forza indomabile; e a questo tumulto noi chiediamo d’essere trafitti. Éric Petr sa come agire e ci accompagna dentro un viaggio “elettrico” dove con la maestria d’un direttore d’orchestra dirige con ordine le scalpitanti luminescenze di una materia divenuta solista: la Luce scrive la sua storia e senza omettere nulla. Eccola dunque mentre si trasmuta dalle fenditure più oscure, inghiottire lo spazio amorfo del buio, liberarsi nella potenza spettrometrica del “chroma” e chiamare a raccolta ogni singola componente che ne compone la natura per dare vita a una cascata di vita. Perché la Luce nelle fotografie di Petr è vita che dilaga, che incide il suo passaggio con uno squarcio nelle tenebre. I lavori di Éric Petr, la sua ricerca è il tentativo di una restituzione, dare alla Luce cioè la chance di svincolarsi dal dibattito che la vede comprimaria con le ombre perché assuma definitivamente il ruolo di protagonista, parte che una volta ottenuta ci convince della scelta.
Éric Petr est un artiste-photographe français, né en 1961. Il vit à Marseille et promène son appareil photo, en toute discrétion, en des lieux publics et sacrés. Ses photographies éblouissent, émerveillent par leur beauté, le jeune enfant ; elles subjuguent, étonnent l’admirateur averti. Éric Petr, à 7 ans, était un précoce et talentueux « déclencheur ». Cet auteur est resté sans maître et humble. Ses photos, variations de lumière, résument ce qu’est la vie : fragilité et grandeur.
Ma photographie est une réflexion sur l’essence de la lumière. Elle questionne sur ce que l’observation imposerait certaines limites à notre perception du réel. Elle montre la fragilité et la beauté de la vie.
Pourquoi avoir choisi la photographie ?
Je ne l’ai pas choisie, elle s’est imposée à moi comme si dans ma mémoire subconsciente quelque chose m’avait toujours relié à elle. Quand je regarde dans l’œil de mon reflex, une distance avec le monde se produit et cette distance est celle qui me donne le recul nécessaire pour me sentir en phase avec ce monde. Depuis que j’ai regardé, tout jeune, à travers le viseur du 6×9 que m’avait prêté mon père, j’ai été fasciné par cette ambiguïté éprouvée à être tour à tour observateur et acteur de son observation. La photographie est pour moi le moyen de libérer une écriture inconsciente, dominée par une pulsion instinctive, l’inspiration.
Comment êtes-vous arrivé à ce type d’images ?
C’est un long parcours mais, quand j’y pense finalement, tout est assez cohérent. J’ai toujours eu le désir d’écrire la trace invisible de l’interconnexion des éléments de l’univers et la relation qui nous lie avec eux.
Avec quel matériel travaillez-vous ? Pourriez-vous expliquer votre technique ?
Je travaille essentiellement avec un Nikon F3 et un Nikon Df donc, avec l’argentique et le numérique. Je n’utilise jamais de zoom pour préférer les vieux objectifs qui ont une âme et avec lesquels je ressens une belle énergie. Je n’utilise pas de programme, je suis toujours en mode B (Bulb) et je n’utilise jamais le mode de mise au point automatique. La sophistication des appareils modernes me gêne et m’ennuie plutôt qu’autre chose. J’ai un peu l’impression, lorsque je me retrouve avec de vrais photographes, de faire partie d’un monde qui n’existe plus. Mais dans un sens, comme mes photos parlent d’intemporalité, ça leur va bien.
Vos séries sont-elles réfléchies avant la prise de vue ? Si oui comment naissent-elles ? Si non, comment naît la série ?
Dans mon esprit, mon négatif est la toile du peintre et la lumière, son pinceau. Dans la problématique posée, le rai de lumière est fixe ; c’est l’appareil qui doit être mobile. Comme si le peintre devait bouger sa toile pour peindre avec un pinceau fixé au mur. C’est ainsi que je photographie.
Je vais donc composer mes couleurs, dessiner mes formes, mettre en vibration des lueurs que j’extrais de lieux éternels et chargés d’une énergie particulière, pour écrire des histoires célestes de ce pinceau de lumière. La question que je pose ici : qui tient ce pinceau ? Ne serait-ce pas celui qui se trouve derrière la lumière, justement ? Cette connaissance qui précède la lumière ? Cet espace qui voit ce que voit la lumière ? Cet instant qui précède le Big Bang ? Ce trou noir qui renferme les secrets de l’univers et qui nous sont délivrés, sous la forme d’une écriture codée et poétique, sur ma pellicule ?
Mes séries sont toutes issues de cette même réflexion : la représentation de corps célestes, invisibles dans notre système en, seulement, trois dimensions. Chaque série montre une dimension différente de ces corps. Pour mieux comprendre, imaginons un volume suspendu dans l’espace. Imaginons également que nous projetions une source de lumière sur ce corps. Nous obtiendrions alors des formes réfléchies par la lumière, sur un mur opposé, de différentes structures, selon que la source d’éclairage est d’un côté ou de l’autre du volume. Les différentes images projetées de ce corps donneront une lecture multiple de ce qu’il est réellement. Pour autant, aucune des formes projetées ne sera inexacte, ni même exacte. C’est uniquement la multiplicité en série de ces formes projetées qui apportera une définition plus précise des caractéristiques du volume éclairé. Mes séries fonctionnent comme ces projections. Chaque série montrera une seule dimension de l’univers mais l’ensemble de mes séries apportera autant de facettes que l’univers a de dimensions.
Qu’est-ce qu’une photographie réussie ?
Une photographie réussie est une photographie qui traversera les temps sans jamais livrer son mystère. C’est son intemporalité qui fera d’elle son éternelle contemporanéité.
Qu’aimeriez-vous photographier que vous n’avez pas encore fait ?
Mon rêve serait de photographier ce qui précède le Big Bang, juste pour me rassurer et me dire que notre univers n’est qu’une fraction d’étincelle dans un monde perpétuellement en mouvement et non pas un monde figé dans une parenthèse, un monde sans père.
Que vous inspire le figuratif ?
Le figuratif fixe les éléments. Il nous assure que nous sommes. Il nous rassure au sens que ce que nous pouvons voir, est. Il crée une image figée de notre présent. Cette image prend une dimension atemporelle à travers laquelle notre esprit peut voyager dans l’espace-temps de notre imaginaire.
Éric Petr is a French photographer born in 1961. He lives in Marseille and, very discreetly, walks around with his camera into public and sacred places. His photographs dazzle, amaze young children through their beauty. They subjugate, astonish mature viewers. Éric Petr, at seven years old, was a precocious and talented « shooter ». Humble and belonging to no one, his photos, variations of light, summarize what life is: fragility and greatness. …
I didn’t choose it. It imposed itself on me as if something in my subconscious memory was always connected to it. When I look into the eye of my camera, a distance from the world is created, and this distance is what gives me the necessary space to feel in sync with this world. Ever since I looked though the viewfinder of the 6×9 my father lent me at a very young age, I was fascinated by this alternating ambiguity between being an observer and an actor in the observation. For me, photography is the way to free something unconscious, dominated by an instinctive drive, inspiration.
How did you end up making these types of photos?
It was a long journey, but, in the end, when I think about it, everything is pretty consistant. I always had the desire to draw out the invisible record of the interconnection of universal elements and the relationship that connects us to them.
What would you like to photograph you haven’t yet?
My dream would be to photograph what came before the Big Bang, just to reassure myself and tell that our universe is only a fraction of a spark of a world in perpetual movement, not a world frozen between parentheses, a world without a father.
What influences the figurative for you?
The figurative stabilizes the elements. It assures us that we are. It reassures us in the sense that we can see, is. It creates an image frozen in our present. This image take an atemporal dimension through which our minds can travel in the spacetime of our imagination.
Celui qui vient de l’infini : entretien avec le photographe Eric Petr par Jean-Paul Gavard-Perret
L’architectonique de la photographie n’est pas forcément tabulée par le positivisme. L’histoire même de cet art prouve à lui seul combien à l’inverse il s’est développé par l’apparition de nouvelles logiques de représentation où disparaissait chaque fois par à coups l’unilinéarité des représentations antérieures.
Déterminant, matrice, table de vérité mais aussi bandes de spectre, la photographie chez Eric Petr demeure toujours un plan complexe où volumes et couleurs créent des indices d’organisation et de variation, de système d’espaces et de temps, de géométrie et d’histoire.
Par ses prises, Eric Petr crée des stratigraphies face à celles — « classiques » — qui se gobent si souvent comme un corps céleste gazeux. Le photographe ramène jusque par l’effluve à l’attraction terrestre. D’où les formes perdues dans l’espace La matérialisation des éthers s’accomplit ici-bas. Une rêverie architecturale se déploie et jouxte une rêverie. Surgit un lieu marquant le passage d’un univers surchargé d’images à celui d’un vertige.
Entretien
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Quand j’étais petit, j’avais des rêves et maintenant, en vieillissant, ces rêves reviennent à moi, comme si le temps était une machine à renouveler le passé et le futur qui deviennent à leur tour le présent.
A quoi avez-vous renoncé ?
Aux études.
D’où venez-vous ?
De l’infini.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’amour de mes parents.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un Châteauneuf-du-Pape, quand l’envie devient irrésistible.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ce sont mes gènes qui me distinguent des autres artistes ; nous sommes tous différents. C’est cette extraordinaire pluri-diversité de l’univers qui définit tout ce qui le compose.
Comment définiriez-vous votre approche de la photographie ?
Ma photographie est un dialogue entre le ciel et l’homme. Elle est une réflexion sur l’essence de la lumière. Elle est une variation sur les « relations d’incertitude » de Werner Heisenberg qui questionnent sur ce que la théorie de l’observation de l’univers imposerait certaines limites à notre perception du réel. Elle montre la fragilité et la beauté de la vie.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
C’est sans doute l’image de Neil Armstrong marchant pour la première fois sur la Lune.
Et votre première lecture ?
“Tintin au Tibet”.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Quand j’écoute attentivement la musique, c’est : « Laborintus II » de Luciano Berio ou Dieterich Buxtehude, la Suite en do majeur BuxWV230 pour clavecin ou Stefano Landi, son magnifique chant « Homo fugit velut umbra » ou Ryoji Ikeda ou encore l’extraordinaire Léo Ferré.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Inconnu à cette adresse » de Kathrine Kressmann Taylor. Magistral, c’est une leçon à ne jamais oublier.
Quel film vous fait pleurer ?
Le film qui me fait pleurer… de rire, c’est : “Les Dieux sont tombés sur la tête” de Jamie Uys. C’est l’histoire d’une bouteille de Coca-Cola qui tombe d’un avion pour atterrir dans une tribu du Botswana et qui engendre le chaos au sein de la communauté.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi, maintenant.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon père.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Mont Fuji, si céleste, tellement beau, divin.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Pierre Soulages pour la lumière, Pablo Picasso pour la couleur et Masahisa Fukase pour son intensité dramaturgique.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un livre.
Que défendez-vous ?
L’Amour.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Je ne comprends pas la psychanalyse ; elle n’agit pas sur moi. Alors, cette phrase ne m’inspire rien.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question » ?
Ça lui ressemble bien.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Pourquoi aimé-je Marseille et pourquoi ai-je mon cœur à Tokyo ? J’ai une immense admiration pour le Japon, pour l’écriture et la culture japonaise mais plus que tout, une extraordinaire épouse du Pays du Soleil Levant. Marseille et Tokyo, des villes portuaires qui ont comme point commun de s’ouvrir sur le monde. Par-delà les mers, je les entends parler d’amour.
Présentation et entretien réalisés par Jean-Paul Gavard-Perret pour Lelitteraire.com le 24 novembre 2016