Celui qui vient de l’infini : entretien avec le photographe Eric Petr par Jean-Paul Gavard-Perret
L’architectonique de la photographie n’est pas forcément tabulée par le positivisme. L’histoire même de cet art prouve à lui seul combien à l’inverse il s’est développé par l’apparition de nouvelles logiques de représentation où disparaissait chaque fois par à coups l’unilinéarité des représentations antérieures.
Déterminant, matrice, table de vérité mais aussi bandes de spectre, la photographie chez Eric Petr demeure toujours un plan complexe où volumes et couleurs créent des indices d’organisation et de variation, de système d’espaces et de temps, de géométrie et d’histoire.
Par ses prises, Eric Petr crée des stratigraphies face à celles — « classiques » — qui se gobent si souvent comme un corps céleste gazeux. Le photographe ramène jusque par l’effluve à l’attraction terrestre. D’où les formes perdues dans l’espace La matérialisation des éthers s’accomplit ici-bas. Une rêverie architecturale se déploie et jouxte une rêverie. Surgit un lieu marquant le passage d’un univers surchargé d’images à celui d’un vertige.
Entretien
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Quand j’étais petit, j’avais des rêves et maintenant, en vieillissant, ces rêves reviennent à moi, comme si le temps était une machine à renouveler le passé et le futur qui deviennent à leur tour le présent.
A quoi avez-vous renoncé ?
Aux études.
D’où venez-vous ?
De l’infini.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’amour de mes parents.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un Châteauneuf-du-Pape, quand l’envie devient irrésistible.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ce sont mes gènes qui me distinguent des autres artistes ; nous sommes tous différents. C’est cette extraordinaire pluri-diversité de l’univers qui définit tout ce qui le compose.
Comment définiriez-vous votre approche de la photographie ?
Ma photographie est un dialogue entre le ciel et l’homme. Elle est une réflexion sur l’essence de la lumière. Elle est une variation sur les « relations d’incertitude » de Werner Heisenberg qui questionnent sur ce que la théorie de l’observation de l’univers imposerait certaines limites à notre perception du réel. Elle montre la fragilité et la beauté de la vie.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
C’est sans doute l’image de Neil Armstrong marchant pour la première fois sur la Lune.
Et votre première lecture ?
“Tintin au Tibet”.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Quand j’écoute attentivement la musique, c’est : « Laborintus II » de Luciano Berio ou Dieterich Buxtehude, la Suite en do majeur BuxWV230 pour clavecin ou Stefano Landi, son magnifique chant « Homo fugit velut umbra » ou Ryoji Ikeda ou encore l’extraordinaire Léo Ferré.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Inconnu à cette adresse » de Kathrine Kressmann Taylor. Magistral, c’est une leçon à ne jamais oublier.
Quel film vous fait pleurer ?
Le film qui me fait pleurer… de rire, c’est : “Les Dieux sont tombés sur la tête” de Jamie Uys. C’est l’histoire d’une bouteille de Coca-Cola qui tombe d’un avion pour atterrir dans une tribu du Botswana et qui engendre le chaos au sein de la communauté.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi, maintenant.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon père.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Mont Fuji, si céleste, tellement beau, divin.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Pierre Soulages pour la lumière, Pablo Picasso pour la couleur et Masahisa Fukase pour son intensité dramaturgique.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un livre.
Que défendez-vous ?
L’Amour.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Je ne comprends pas la psychanalyse ; elle n’agit pas sur moi. Alors, cette phrase ne m’inspire rien.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question » ?
Ça lui ressemble bien.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Pourquoi aimé-je Marseille et pourquoi ai-je mon cœur à Tokyo ?
J’ai une immense admiration pour le Japon, pour l’écriture et la culture japonaise mais plus que tout, une extraordinaire épouse du Pays du Soleil Levant. Marseille et Tokyo, des villes portuaires qui ont comme point commun de s’ouvrir sur le monde. Par-delà les mers, je les entends parler d’amour.
Présentation et entretien réalisés par Jean-Paul Gavard-Perret pour Lelitteraire.com
le 24 novembre 2016
www.lelitteraire.com/?p=26115