L’IMAGE EN MOUVEMENT OU LA PHOTOGRAPHIE ET L’AIKIDŌ

Hong Kong by night, février 2005 © Éric Petr

Mon cheminement, dans ma réflexion sur l’image en mouvement

J’ai pratiqué la photographie argentique avec passion, entre 1983 et 1993. Je développais mes films et je tirais mes photographies dans un laboratoire photo de l’Aéroport de Paris qui m’était prêté.
Puis j’ai arrêté subitement la photographie. Je considérais sans doute à ce moment précis de son histoire qu’un séisme s’était produit, et que je n’y avais plus ma place. Le monde du numérique émergeait.

C’est alors que s’enchaînèrent pour moi les années sans prendre une seule photographie et sans toucher à un appareil photographique au cours de la décennie qui s’ensuivit.
Quand je regarde mes albums photo, c’est un trou béant d’une décennie de souvenirs qui ne se sont pas imprimés, et pour certains disparus au fin fond de mon inconscient.
La première leçon reçue de cette privation de l’image est que la photographie, le dessin ou le carnet de voyage, au-delà de ce qu’ils peuvent produire de beau, sont tout d’abord un outil indispensable et nécessaire à la mémoire.

Mais un recul s’imposa à mon rapport obsessionnel et maladif de l’appareil photographique, et ces dix années d’interruption m’ont permis de prendre conscience de cela et de placer une distance nécessaire pour réfléchir librement et sans contraintes au pouvoir de l’image, son rôle, sa puissance et surtout, de quelle manière l’image photographique pouvait toucher à l’immatérialité, la métaphysique et exprimer des émotions indicibles de l’ordre du spirituel ou de l’invisible.

C’est ainsi que cette décennie de gestation, qu’une pratique intense d’un Aikidō sans concession accompagna, a changé mon regard sur le monde, ou plutôt, lui a apporté une acuité qui jusqu’alors avait rencontré quelques difficultés à s’exprimer clairement en moi.

Il est aussi indéniable que l’Aikidō, dans sa pratique pure, son approche traditionnelle, son entraînement intensif et sa méditation régulière, permet d’accéder à un champ plus large de la connaissance spirituelle et de notre rapport à l’univers.
C’est ce en quoi, l’Aikidō m’a beaucoup aidé et continue à m’apporter cette profondeur dans la conception de ma photographie.

Je ne saurais qu’être très reconnaissant envers Armand Mamy-Rahaga et Michel Kovaleff qui, par leur pratique d’un art martial juste et intransigeant, m’ont aidé à trouver un chemin dans ma réflexion, et reprendre mon travail photographique avec cette force que nous donne l’Aiki.

Koh Chang 2002 © Éric Petr
Douzième pose d’un tout premier film photo réalisé après dix ans d’arrêt complet de la pratique photographique.

C’est donc en décembre 2002 que j’ai repris la photographie après ces dix années d’interruption, là où je l’avais arrêtée en 1993, mais avec une cohérence plus structurée que celle que mon travail des années 80 avait su produire.

La rencontre se fit par la contingence d’éléments heureux avec un Pocket Instamatic Kodak jetable de 12 poses, qu’un périple en Thaïlande vers le Cambodge avait initié. 
Ce fut douze grands moments d’émotion !
Seulement douze photos prises au cours d’un voyage au bout du monde, c’est juste retenir son souffle jusqu’à la fin.
Lors de ce voyage-là, j’appris à prendre le temps, à chercher dans mon inconscient le souffle déclencheur du déclic photographique, la jouissance du déclenchement.
Je compris alors que la photographie est, avant tout, l’écoute de notre univers.

Les premiers travaux photographiques que j’ai réalisés à partir de 2003 (Tōkyō under the rain_2oo3, Bangkok_2oo4, TrAveRséE2nUiT_2oo4, Windows_2oo5, et d’autres), constituent les bases et les fondements d’un savoir acquis au cours de cette décennie d’interruption de la pratique photographique.

Les trois images de 2005 que je vous présente aujourd’hui, sont très représentatives de mon style. Ma photographie compose à la fois avec la lumière comme premier constituant de l’œuvre mais se distingue aussi par sa capacité à capter les détails les plus subtils d’une scène ou d’un lieu pour transformer les objets visibles et à en magnifier leur perception secrète. À travers ce regard, chaque image devient une sorte de poème visuel, où l’invisible prend forme, et où le spectateur est invité à découvrir un monde qui lui est propre tout en restant connecté à l’expérience humaine universelle.

Ces images extraites de ma série Hong Kong by night, de février 2005, tentent de reproduire l’atmosphère ineffable des villes d’Asie en apportant, et ce qui fera ma signature de photographe, cet aspect de matière lumineuse dense et poétique, cette ambiance onirique et cette sensation d’intemporel.
Bien que ces images aient été prises il y a vingt ans, leur force nous fait oublier justement la faible qualité de l’appareil photographique numérique utilisé à l’époque, ce qui demeure une prouesse.

Hong Kong by night, février 2005 © Éric Petr

Mon travail photographique se poursuivra sans discontinuer dans le cadre de cette réflexion sur la lumière, le mouvement, l’espace et le temps.
J’ai nommé ce processus photographique, pour le définir : « la photographie cinétique in situ » ou « in situ kinetic photography ».

Ce travail se poursuit aujourd’hui avec mes Variations de Lumière mais encore, et toujours, avec 光 (Hikari), Métamorphoses ou mes Spirituelles Odyssées qui ont donné naissance à la publication d’un livre numéroté et signé en 2016, chez Corridor Éléphant, Éditeur de photographies contemporaines.

Ce travail sur la lumière et le mouvement, que j’ai commencé à diffuser sur les réseaux sociaux à partir de 2010, demeurait jusqu’alors très méconnu de la pratique des photographes et du public. Mes très nombreuses publications ont alors donné place, petit à petit, à un courant photographique que d’autres photographes, à leur tour, ont repris et développé de leur côté, puis nommé dans les années 2015 « Intentional Camera Movement ».

Je suis heureux de faire partie des tous premiers investigateurs de ce mouvement photographique, et pour n’en citer que quelques-uns qui m’ont précédé, Kōtarō Tanaka (1905-1995), Ernst Haas (1921-1986), et aussi mon contemporain Alexey Titarenko (né en 1962), ayant pour sa part spécifiquement travaillé sur les foules en mouvement.

Je m’inscris personnellement comme photographe ayant concentré tout mon travail et mes efforts au cours de ma vie dans cette principale réflexion de l’image en mouvement, en créant un style tout à fait unique.

Hong Kong by night, février 2005 © Éric Petr

DE L’ « ICM » VERS LA « IN SITU KINETIC PHOTOGRAPHY »

Bangkok 2oo4 © Éric Petr [Intentional Camera Movement]

« in situ kinetic photography »
premier principe d’un manifeste

J’ai démarré la pratique de la photographie en 1983, et pendant dix années, j’avais cette idée de développer une recherche et une esthétique basées sur la lumière pure, et l’impact que la lumière peut avoir sur notre esprit, notre pensée, et notre perception de l’univers. 

J’ai repris ces travaux en 2003, après une rupture de la photographie entre 1993 et 2003.
Néanmoins, ma réflexion sur l’image a nourri cette période d’inactivité, qui s’est avérée très riche et très constructive pour mon travail photographique, par la suite.

Dix ans plus tard, en 2003 donc, après avoir longuement pensé à l’image, son rôle, et son pouvoir, j’ai poursuivi mon travail photographique sur la lumière, en tant que plastique ou matière, avec un regard nouveau.

« Bangkok 2oo4 » et d’autres ouvrages de cette même période, montrent un travail qui s’est inspiré de ce temps de réflexion, d’introspection et de maturation.

Cette photographie qui, en cette nouvelle ère de l’image numérique, n’était pas encore précisément nommée, le fut une décennie plus tard, sous le nom de ICM (Intentional Camera Movement).

光 0x1853AC © Éric Petr, 2020 [in situ kinetic photography]

Au XXe siècle, quelques photographes ont consacré une partie de leurs œuvres à cet aspect technique de la photographie en mouvement, tels que, pour n’en citer que quelques uns, Kōtarō Tanaka (1905-1995), Ernst Haas (1921-1986), et Alexey Titarenko (né en 1962), ayant pour sa part spécifiquement travaillé sur les foules en mouvement.

Au début des années 2000, mon travail sur l’image en mouvement, avec l’idée de peindre avec la lumière sur mon film ou mon capteur, est d’une approche très contemporaine, et demeure en marge. Il fut aussi acquis grâce à la pratique d’un Aikidō traditionnel et exigeant, qui enseigne la fluidité des éléments, la connexion avec le cosmos et la compréhension du mouvement et du corps dans l’espace.

Mon travail, dont le principe repose sur le mouvement intentionnel, a aujourd’hui évolué en apportant à l’ICM un champ plus étendu, que j’appelle la « in situ kinetic photography », ou en français, « photographie cinétique in situ ».
La « in situ kinetic photography » apporte au « mouvement intentionnel de caméra » un champ plus large et tient compte de différents axes et plans, in situ, pour une même exposition qui oscille de quelques secondes à quelques minutes.

La « in situ kinetic photography » s’apparente à l’échographie d’un lieu qui se réalise comme un micro-métrage, mais qui s’enregistre sur une seule image. Il ne s’agit donc ni d’expositions multiples, ni d’un travail en post-traitement. Sa photographie s’inscrit dans le domaine de l’abstraction, ou de l’abstraction subjective. Son écriture se fait avec la lumière et les photons en constituent son alphabet. Son langage est cosmique, son style onirique et son esthétique plasticienne.

Cette photographie s’apparente à la peinture dans le sens où elle se construit sur place en composant les éléments qui s’ajoutent à l’image. Le pinceau ou le crayon est le rayon lumineux qui contient la matière et l’énergie des ondes électromagnétiques, tandis que la toile ou le papier est la pellicule argentique ou le capteur de l’appareil photo. Contrairement au peintre ou au calligraphe, ce n’est pas le pinceau qui se déplace, mais le support, c’est-à-dire l’appareil photographique. C’est aussi, en ce sens, que l’intention de la « in situ kinetic photography » n’est en rien celle du « light painting », même si l’on peut observer certains points communs.

Pour cette photographie, composée in situ, des éléments très dispersés sur le lieu sont choisis avec soin pour composer un tableau photographique. Après une analyse des temps permettant l’ajout des éléments à photographier, le photographe devra déterminer précisément la vitesse de l’obturateur, l’ouverture de la focale, et la sensibilité du film, en fonction des éventuels filtres ajoutés.

Pour la « in situ kinetic photography », l’intention n’est plus le mouvement, comme dans le « mouvement intentionnel de caméra », mais celle de construire une image abstraite avec une densité plastique qui suggérera la superposition des états quantiques d’un point géographique que la lumière traverse au cours de son odyssée infinie.

Éric Petr | 0xB09FE203
Le combat des Amazones | Métamorphoses 0xB09FE203 © Éric Petr, 2019 [in situ kinetic photography]
Éric Petr | 0x480DF803
光 0x480DF803 © Éric Petr, 2014 [in situ kinetic photography]
Éric Petr | 0x7077 Variations de Lumière opus 0 (Nikon F3) Le Lavandou Années 80
Variations de Lumière opus 0, Le Lavandou 1980’s © Éric Petr | Nikon F3, film Kodak
Variations de Lumière opus 5 [Triptyk 2021] 65x300cm © Éric Petr [in situ kinetic photography]

ÉRIC PETR, UNE SINGULARITÉ QUANTIQUE

Image issue de « h2o-Ray_47Ag » © Éric Petr

Éric PETR, une singularité quantique

Éric PETR s’est toujours passionné depuis sa tendre enfance pour la photographie. 

C’est avec ce médium qu’il s’exprime aujourd’hui en tant qu’artiste photographe avec une singularité qui lui est propre.

Né en Provence dans les années 60, Marseillais de cœur et de formation autodidacte, il se consacre pleinement depuis 2013 à la création d’œuvres photographiques à travers lesquelles il porte une réflexion sur l’essence de la lumière.

Habité depuis tout petit par la question de ce qui a précédé la création de l’univers, il interroge sans cesse la lumière, en ce que les particules élémentaires (photons) qui la composent, à la fois onde et/ou corpuscules, pourraient véhiculer à travers l’espace-temps des informations qui contiendraient toute l’histoire de notre univers et par conséquent notre mémoire inconsciente et collective.

La technique photographique très particulière qu’il utilise, met en lumière l’idée que notre observation imposerait certaines limites à notre perception de la réalité. Ce qui induit par-là que notre perception se trouverait augmentée par notre capacité à ressentir cette réalité indicible. Pour PETR, ce serait la pratique d’un Aikidō exigeant qui lui aurait donné cet accès à une certaine compréhension de l’univers, ce qu’il traduit dans ses propres images.

Ses travaux, Variations de Lumière, Métamorphoses, Hikari, sont autant de compositions qui empruntent la lumière comme une matière première.
Tel un chercheur, Éric PETR utilise un idiome poétique nouveau, pour réinterpréter à sa manière la physique quantique.

© Maria Héméré